L’année 2020 nous a fait prendre conscience que nous étions, collectivement et individuellement, vulnérables. En 2021, alors que nous pensions être sortis d’une crise pandémique passagère quoi qu’extrêmement brutale, nous nous retrouvons à envisager que cette crise puisse être permanente. La situation que nous avons connue dans les premiers mois de l’année nous rappelle cruellement qu’il faut à tout prix, pour notre propre survie, sortir des anciens schémas de pensée. D’autant plus qu’une feuille de route pour une sortie de crise en cohabitation avec le virus a été définie.

La crise, un accélérateur des transformations sociétales

Comment caractériser le monde dans lequel nous vivons ? Certains le disent, depuis plusieurs années, « VUCA » (pour Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity, soit Volatile, Incertain, Complexe et Ambigu). D’autres parlent de « société du risque ». Celui-ci devenant une constante sociétale avec lequel nous devons vivre. Cependant, ces approches ne sont pas nouvelles : elles datent déjà de la fin du 20ème siècle.

Alors, existe-t-il vraiment un « monde d’avant » et un « monde d’après » ? Les initiatives invitant à construire le monde d’après font florès depuis un an, dans tous les corps de la société : entreprises et syndicats, acteurs politiques, monde associatif, ONG et « société civile ». D’ailleurs, les propositions sont nombreuses. Mais peu se distinguent pourtant par leur originalité ou leur nouveauté.

Plus qu’opérer un basculement entre deux mondes, la crise liée à la pandémie de covid-19 a agi comme un accélérateur de transformations déjà à l’œuvre. Effectivement, pour les entreprises : le recours au digital n’est plus une option, la maîtrise maximale de la supply chain est obligatoire, l’hybridation des modes de travail devient la norme, la « marque employeur » pour attirer et fidéliser les talents est bien plus qu’un simple sujet à la mode, tandis que la responsabilité sociétale des entreprises devient une préoccupation majeure.

Les entreprises se transforment ; la société se transforme. Nous évoluons.

Par-delà les risques et les opportunités, un nouveau paradigme ?

 

Au-delà des risques et des opportunités qu’elle nous aura fait (re)découvrir, la crise liée à la pandémie de covid-19 a surtout été l’occasion salutaire de nous rappeler que nous étions vulnérables.

D’ailleurs, « vulnérabilité » : mot des années 2020 et 2021 ? Il est projeté sur le devant de la scène par l’actualité. En France, il rythme les allocutions présidentielles et gouvernementales depuis un an. De son côté, la politique vaccinale cible comme prioritaires les personnes les plus « vulnérables » : personnes âgées, personnes déjà malades (présentant des « comorbidités ») et soignants maintes fois exposés au virus… Finalement, les aides économiques sont dirigées vers les secteurs d’activité et les entreprises les plus « vulnérables ».

« Une société qui progresse est une société qui protège ses plus faibles »

disait l’économiste Bernard Maris.

Si certains groupes dans la population présentent réellement des facteurs de risque plus grands, la vulnérabilité ne doit pas être l’apanage stigmatisant de quelques-uns. En effet, ce serait se voiler la face et manquer cruellement d’humilité que de penser que certains sont à l’abri.

Au fond, nous sommes tous vulnérables face au virus. Et c’est tant mieux. Rendons-nous compte de cette vulnérabilité. La vie est forte ; et elle est vulnérable. Notre monde est robuste, résilient ; ET il est vulnérable. L’humanité est vulnérable face à la nature ainsi qu’elle est vulnérable au sein d’un écosystème qu’elle oublie encore trop souvent de respecter.

La vulnérabilité est psychologique. Les chefs d’entreprise, les salariés, les indépendants comme les étudiants ont traversé des périodes d’ébranlement assez fort depuis 1 an. De surcroît, les sondages et études relatent des états dépressifs ou troubles anxieux pouvant atteindre un taux de 30 %, encore aujourd’hui[1].

Tout compte fait, prendre conscience de notre vulnérabilité collective, c’est accepter notre place. Laissons ainsi tomber l’égo de démesure que nous avons, collectivement de manière indéniable, et encore trop souvent individuellement, malgré les prises de conscience et les initiatives visibles.

Du sentiment d’invulnérabilité naissent la folie des grandeurs et la démesure, le plaisir rapide et le gain court-termisme. Mais aussi : l’opportunisme et la lâcheté, le cynisme. Or, le monde économique dans lequel nous vivons est empli de ce sentiment d’invulnérabilité. Dans ses travers, il insiste à la démonstration de force déplacée, au paraître ou à l’individualisme.

Mauvais calcul ! Car, c’est de la vulnérabilité que peuvent naître la sagesse, la résilience, le courage et l’optimisme. Sans la reconnaissance de cette vulnérabilité omniprésente, la démesure, le sentiment de toute-puissance, la condescendance des « forts » envers les « faibles », l’injonction mortifère de performance « quoiqu’il en coûte » risque de prendre le dessus et de mener à de coûteuses impasses.

Même les plus couverts face aux risques de la société actuelle doivent accepter d’être vulnérables. En somme, c’est de la reconnaissance et de l’acceptation de la vulnérabilité que peut naître quelque chose de plus grand. Alors, peuvent apparaître la solidarité, la conscience du collectif, la bienveillance et l’empathie.

 

Accepter la vulnérabilité, préalable inconditionnel pour grandir

Le passé n’est plus. L’avenir est incertain. Le présent peut être remis en cause. C’est ainsi : nous voilà confrontés à l’impermanence des choses. Finalement, c’est une invitation à investir l’ « ici » et le « maintenant ».

Etre vulnérable, c’est accepter la finitude. C’est être conscient que tout peut s’arrêter, que le monde connu peut s’effacer. Et ne pas en avoir peur, faire face, se dire que « c’est OK » – « je suis d’accord avec ça et je l’accepte » -, que c’est acceptable et accepté, que ce n’est « pas grave ». Et être heureux au-delà de ça. Nous pourrions dire, même, être heureux « grâce » à ça. Et vivre pleinement, avec profondeur, sincérité et humilité.

La vulnérabilité n’est pas la faiblesse. Être vulnérable n’est pas non plus être vain ou insigne.

La vulnérabilité est créatrice. Elle est fugace. Ainsi, elle permet d’investir le moment présent et de le fertiliser. L’entreprise crée en permanence alors qu’elle évolue dans une vulnérabilité permanente. Du chef d’entreprise innovant ou leader, aux équipes investis pleinement dans un engagement qui dépasse ses membres : tout est histoire de vulnérabilité créatrice, de « mise en danger ».

C’est dans la vulnérabilité que peut naître la conscience de l’autre. En fin de compte, c’est cette conscience qui nous fait dire qu’on a besoin d’autrui, qu’on a besoin de se serrer les coudes et d’avancer ensemble.

Finalement, c’est pour une création directe que nous pouvons œuvrer.  Cela sans préjuger du lendemain. Et sans lui faire porter le poids d’une dette que nous creusons aujourd’hui, et qu’il nous sera impossible de rembourser. Sacrifier le présent au bénéfice de la prospérité économique de demain est-il judicieux ? « À long terme, nous sommes tous morts » a-t-on coutume de faire dire à John Maynard Keynes.

 

Vers l’apprenance collective ?

Accepter notre vulnérabilité, c’est aussi accepter l’erreur, le fourvoiement, le fait qu’on a pu faire fausse route. C’est accepter qu’on a pu opérer des choix malheureux ou tenir des raisonnements erronés. L’économie, aussi digitalisée puisse-t-elle être, repose encore sur l’humain. Et, l’humain est faillible. Il serait salutaire de le reconnaître. Au risque de répéter les mêmes erreurs ou de vouloir s’enferrer dans des systèmes qui, demain encore, rencontreront les murs contre lesquels nous nous heurtons aujourd’hui, avec lassitude.

Finalement, que retenir de tout cela ? Dans une société qui semble s’être installée dans une crise perpétuelle, la vulnérabilité est omniprésente et touche tout le monde, tous les secteurs d’activité. Loin d’être un drame, c’est une véritable bonne nouvelle. A condition de reconnaître notre propre vulnérabilité.

 Aymon Westphal

 

 [1] https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2021/la-sante-mentale-au-temps-de-la-covid-19-en-parler-c-est-deja-se-soigner

 

Pour aller plus loin :

  • La Société du risque, Ulrich Beck, 1986
  • Oser le risque, Le management dans un monde incertain, Xavier Durand, 2021

 

 

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