Un phénomène fréquent
74% des dirigeants de PME et d’ETI ne se sentent pas véritablement entourés »
C’est ce que rapporte une enquête sur l’isolement des dirigeants datant de 2016 [1]. Il y est précisé que près de la moitié de ces directeurs se sentent isolés au sein de leur organisation.
En période de crise (économique, sanitaire…) ce sentiment est d’autant plus accentué et devient une réelle menace pour le bon fonctionnement et le bien-être de l’organisation.
Le sentiment d’isolement peut se manifester même lorsque le collectif de l’entreprise est présent aux côtés du dirigeant. Nous avons récemment fait face à une situation critique chez un de nos clients du secteur de l’innovation dont la dirigeante vivait un mal-être fort, dû au poids des responsabilités et de la sensation de devoir faire face, seule, malgré la présence d’une équipe soutenante.
Qu’est-ce que la solitude du dirigeant ?
On pourrait penser que ce sentiment d’isolement provient d’une absence physique de collaborateurs ou d’employés. Et pour cause ! Nous associons depuis toujours la solitude à une séparation avec les autres. Pourtant elle se présente également au travail comme une difficulté, voire une impossibilité d’avoir accès à un soutien, psychologique ou physique, de la part de l’organisation ou du collectif [2]. Bien que trop peu connu, il est essentiel de prendre en compte ce phénomène qui peut conduire à une baisse de l’efficacité et un véritable mal-être du dirigeant.
Être entouré lorsqu’on travaille sans collectif
Il n’est pas rare que certains dirigeants travaillent sans équipe ni collaborateurs. Le risque d’être confronté à la solitude est donc malheureusement nettement supérieur. Cette absence d’équipe ne permet pas au dirigeant d’avoir un soutien dans ses pratiques, ce qui amène à un isolement premièrement physique, mais également psychologique. Les charges mentales et de travail, la nécessité d’être sur tous les fronts, ainsi que l’absence de moments informels entre collaborateurs pour se détacher du travail sont à l’origine de cette solitude.
Alors comment être entouré et prévenir cette solitude sans collectif de travail ?
Lorsque le contact n’est pas possible en interne, nous vous conseillons de le chercher en externe. On s’explique : malgré ce sentiment d’isolement, vous n’êtes pas un cas isolé ! Beaucoup d’autres entrepreneurs peuvent également ressentir cette solitude, c’est pourquoi il peut être une bonne idée de s’entraider, voire de travailler ensemble. Construire un réseau peut constituer un rempart contre l’isolement. Le développer et l’entretenir, quelque soient les retombées économiques de ce réseau, peuvent apporter beaucoup.
Régulièrement sollicités sur ce point, nous avons mis en place, chez Kanyon Consulting, des réseaux de partage entre pairs pour se rencontrer, échanger sur les problématiques rencontrées et situations vécues. L’écoute, le partage, l’entraide… autant de bienfaits apportés par ces réseaux de pairs. L’excellente initiative de la CCI du Val-de-Marne, au sein du parcours Reboost, est à relever.
Origine de cette solitude au sein d’une équipe
Il arrive que ce sentiment de solitude soit également perçu par les dirigeants entourés, travaillant dans une plus grande structure. Plusieurs causes peuvent traduire cet isolement.
La dépersonnalisation du dirigeant
Il faut savoir que les dirigeants ont un statut social spécifique. Leur position de « Chef » instaure une protection face aux réactions vives que peuvent engendrer ses prises de décisions auprès des salariés. Mais cette protection reflète finalement une pauvreté des échanges au sein de la communication organisationnelle. Le manque ou les lacunes dans la communication peuvent par ailleurs entraîner des conflits plus ouverts que le dirigeant devra gérer.
Ces comportements s’expliquent par le fait que les salariés n’osent pas faire de commentaires puisqu’ils ne voient en lui qu’un rapport hiérarchique engendrant une motivation par simple calcul d’intérêt. On parle alors de dépersonnalisation, pouvant s’expliquer par deux types de comportements :
- les salariés voient le patron avant de voir l’Homme;
- le dirigeant reste souvent sur la réserve pour garder son statut social [3].
Ce phénomène de dépersonnalisation peut avoir un très gros impact sur la solitude du dirigeant. Cette image de « boss » supposé tout savoir et être sur tous les fronts amène une pression supplémentaire. Cette pression empêche bien souvent d’établir de bonnes relations interpersonnelles.
Une structuration qui éloigne
Même si les générations actuelles tendent de plus en plus vers le développement d’organisations comprenant une structuration « plate » (réduction des niveaux hiérarchiques, communication horizontale), il existe encore un grand nombre d’entreprises qui placent le dirigeant tout en haut de la pyramide.
Cette place oblige le dirigeant à être éloigné du reste de la structure, ce qui ne facilite pas les échanges avec le reste des salariés ! D’une part cela peut provoquer un sentiment de solitude physique, et d’autre part une solitude psychologique face à toutes les tâches à effectuer. En effet cette structuration peut l’empêcher de transmettre efficacement les informations, et donc de déléguer correctement le travail à ses collaborateurs. A la suite de cela, c’est un enchainement de problématiques qui peut venir alimenter le sentiment de solitude avec une surcharge de travail, du stress, un manque de relations personnelles, etc. Les conséquences peuvent également se faire ressentir sur la vie personnelle du dirigeant, parfois de manière dramatique.
Il est évident que les situations nouvelles et incertaines que provoquent les crises sociétales n’arrangent pas les difficultés rencontrées… C’est pourquoi nous rédigerons une série d’article sur le sujet pour vous aiguiller face à ce sentiment de solitude !
En synthèse
Vous l’aurez compris, que ce soit pour préserver sa santé ou pour maintenir sa performance, la solitude du dirigeant est un phénomène qu’il faut prévenir. Pour cela, deux clés principales : développer son réseau externe et favoriser une structure participative qui contribue aux échanges interpersonnels et à la délégation.
Pour bien déléguer, il faut cependant et avant tout connaître les freins qui peuvent brider cette pratique. Nous vous les présenterons à la suite de cet article.
A bientôt !
Carla Mailly
[1]. Source : Bpifrance Le Lab, enquête sur l’isolement des dirigeants de PME et d’ETI, janvier-avril 2016 ; sur la base de 2 140 réponses.
[2]. Marc, J., Grosjean, V. & Marsella, M. (2011). Dynamique cognitive et risques psychosociaux : isolement et sentiment d’isolement au travail. Le travail humain, 2(2), 107-130.
[3]. Dubreuil, B. (2013). Incarner le rôle d’autorité. Dans : B. Fredj, M. Marhadour & D. Raquin (Dir), Le travail de directeur en ESMS (pp. 39-78). Paris: Dunod.
A lire aussi :
- Vivre dans la crise permanente : éloge de la vulnérabilité.
- Chefs d’entreprise : engagement individuel et force du collectif
Pour aller plus loin :
- Gabriel, A. S., Lanaj, K., & Jennings, R. E. (2020). Is one the loneliest number? A within-person examination of the adaptive and maladaptive consequences of leader loneliness at work. Journal of Applied Psychology.